A la claire fontaine...

Publié le par Association Médiane

 

Ecologie... drôle de mot pour de drôles d'idées.

Qui en parlait il y a seulement deux générations ? Quelques hurluberlus qui n'avaient pas la berlue puisque les constats révélés par leur lucidité posaient sur notre devenir des questions cruciales auxquelles nous avons apporté de mauvaises réponses.

Aujourd'hui, l'écologie est à la mode et nourrit les potins du café du Commerce. Il peut sembler abérrant de se prétendre écologiste ; qui n'est pas enclin à préserver la santé, à défendre la vie et l'intégrité du vivant ?

Pourtant, fier de sa place de super prédateur au sommet de l'échelle du vivant, l'homo sapiens consumeris tourne le dos à la beauté et à la richesse du sens de l'adaptation permanent de la vie et préfère s'essayer depuis plusieurs siècles à l'auto-prédation. Et comme rien ne l'arrête, il investit depuis quelques décennies le vaste chantier planétaire d'un monde hors-sol grâce à l'alibi chimérique de notre épopée industrielle moderne : le progrès et son rêve de domination de la nature dont nous sommes pourtant les enfants.
Comme disait mon voisin de comptoir au bistrot « Le verre solidaire »: »Y'a pas de bien à se faire du mal »; l'ère du scientisme tout-puissant cumule d'amers constats sanitaires : au delà des comportements anxiogènes qui gagnent du terrain, la perturbation des équilibres naturels, de la cellule au climat, entraîne sur l'échelle de l'âge les pathologies lourdes vers l'enfance. Les nouvelles maladies désorientent la médecine moderne et la recherche mais pas le lobby de l'industrie dont elles sont issues. Cerise frelatée sur ce gâteau indigeste, la science trouve encore les moyens de mettre du beurre synthétique dans ses épinards transgéniques en faisant commerce de paliatifs artificiels pour répondre à l'effondrement des taux de fertilité et de fécondité. La pérennité de la vie mise sur le marché révèle le vrai visage d'un système qui non seulement refuse de remettre en cause son potentiel destructeur , mais qui plus est, tire bénéfices de ses déviances morbides.

Gloire des temps modernes et argument massue pour chagriner les écolos : l'augmentation de l'espérance de vie , même si l'assistanat et l'acharnement thérapeutiques transforment les maisons de retraite en mouroirs au long-cours où l'agonie aseptisée flirte avec l'ennui lobotomisé, ce délicat avant-goût du néant post-mortem.

L'écologie apparaît au moment où disparaissent les « peuples premiers » -appellation ridicule incontrôlée- derniers acteurs d'une possible existence saine et sereine au sein de cette convivialité intemporelle qui tisse ses liens du plus intime de l'être jusqu'aux confins de la biosphère, cette solidarité aussi intuitive qu'instinctive qu'on appelle Nature où le vivant évolue au gré des cycles, coopère et s'adapte entre miracle et mystère, perception indicible d'une intelligence invisible.
Mais comme le martèle Charles, au zinc du bar « Biture Hic » : « On peut quand même pas passer ses soirées à danser autour d'un totem avec un pagne sur les fesses en vociférant comme des bêtes ! ». Non, certes, pourtant il y a des jours où on se demande...

Nous, occidentaux, avons eu la chance de développer notre civilisation sur les terres les plus fertiles des contrées les plus tempérées du globe. Lorsque notre vanité conquérante ne met pas à genoux les peuples indigènes dont l'adaptation aux conditions de vie extrêmes force le respect, des pôles à l'équateur en passant par les tropiques, le pillage en règle des ressources naturelles et humaines achève l'extinction de leur culture. Imbus de notre complexe de supériorité, nous lèguerons aux survivants de ces authentiques écologistes sans étiquette le spectacle de nos perversions, les affres de nos pathologies, le poison de nos touristiques tristesses. Comment sauvegarder la biodiversité si nous sommes incapables de préserver la diversité au sein de notre propre espèce ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité...

Nous nous sommes déjà fait la main sur nos propres autochtones : ceux que notre calamiteuse conscience appelle « cul-terreux, ploucs, bouseux, péquenots » en un mot les paysans, ces artisans paysagers de nos fiertés gastronomes, ceux que nos enfants considèreront demain comme des êtres d'un autre âge. Le mépris d'une société pour ceux qui contribuent à la nourrir et le dédain pour la terre, habitée de tous temps et en tous lieux d'une symbolique et d'une réalité nobles et dignes, ne sont-ils pas le signe objectif d'une dégénérescence sociétale ?

Après deux siècles de révolution industrielle -la plus destructrice de toutes- de ses miasmes coloniaux et sa politique de l'autruche, c'est une bonne gueule de bois (ou de plomb) qui nous attend au réveil pour s'ébahir des dégats écologiques et humains de la civilisation du stress et des déchets. Pouvons-nous espérer un autre destin que celui de petits propriétaires, consommateurs fébriles et actionnaires cupides soumis au modèle de la caste des nababs de la jet-set, névrosés du « toujours plus » qui ne touchent plus terre ?

Nous n'avons visiblement pas encore réalisé l'ampleur de notre irresponsabilité servile à entretenir le fonctionnement de la société de consolation par l'abondance qui nous a appris à ne plus vivre ensemble , réduisant le respect de la vie en pertes et profits.

Faut-il se vouer à la marginalité pour échapper à l'idéal universel de l'appât du gain et du désir de possession, compensations au vide des consciences et à la solitude des coeurs ?

Dans notre course dérisoire contre la mort, la tyrannie de l'horaire et du temps semblait être notre dernière servitude. Prendrons-nous la mesure de celle du temps de cerveaux disponibles passé à fuir le réel vers le refuge virtuel hyper-individué du dépotoir-défouloir cybernétique ? Surfer en ligne et penser en rond dans la laideur d'un matérialisme hystérique, dévotion domestique à la technologie justifiée par les arguments pré-pubères de gogos égotiques et d'adeptes du militantisme de salon.

Quel prix faudra-t-il payer, non pour posséder le nec plus ultra du confort moderne, mais pour en digérer les nuisances et leurs conséquences ?

Quelle que soit l'ampleur des dérèglements climatiques, bienvenue dans la froideur du monde hors-sol...

La remise en question et l'examen de conscience n'étant pas son for, l'homme moderne assimile l'écologie à la protection de l'environnement. Il détourne les préoccupations vitales vers les environs plus ou moins proches de son intouchable nombril. A l'heure où son inconséquence dégrade de manière irréversible les éléments essentiels à l'existence de la vie: la terre, l'eau, l'air, le feu (symbole solaire, chaleur, lumière), il exerce ses talents calculateurs dans l'art de la récupération. Ainsi le facétieux Grenelle de l'environnement, cher aux écologistes d'opérette, s'est mètamorphosé en foire à l'éco-bizness avec son concept choc : le développement durable qui redore si besoin était le blason de l'argent-Roi. Jeff, mon voisin de table à la brasserie « Bière qui mousse amuse la rousse », n'en pense que du bien : »Pollueurs payeurs, bonus-malus, éco-taxes, il suffit d'avoir les moyens de payer pour emmerder ses congénères, au sens « propre » comme au figuré et en toute légalité !«. Sacré bon sens populaire...

Les entrepreneurs pourront donc entreprendre dans la croissance verte, nouveau fleuron industriel subventionné. Sans garantie quant à l'amélioration des conditions de travail actuelles, bombe à retardement d'un désastre sanitaire annoncé qui n'affole pas trop les écologistes (on ne peut pas être partout); il n'est pas question de remettre en cause les différences de rémunérations entre postes masculins et féminins similaires, pas plus que de suspendre la démolition du code du travail, l'euthanasie des services publiques et l'érosion du Bien Commun.

La décroissance des injustices et des disparités n'est donc pas à l'ordre du jour...

Ainsi nous produirons vert pour consommer mûr dans l'expansion du développement durable en fôlatrant avec allégresse entre croissance négative et récéssion positive au sein du village global planétaire vers une mondialisation à visage humain.

Au-delà de ce jargon consensuel cher à l'intelligencia mondaine, l'uniformité marchande étale inexorablement son fard toxique sur le visage de plus en plus hideux d'un monde où la vulgarité n'a qu'une rivale, la médiocrité.

Le monde du vivant assailli d'agressions et de menaces est devenu aléatoire et intègre le principe de précarité qui, du domaine publique à la sphère privée, caractérise notre époque.

Au fond de l'impasse où est acculée ce que nous osons encore appeler «la société », l'écologie a écrit sur le mur qui nous cache le ciel et l'horizon: changer ou disparaître. Si nous ne sommes pas tous égaux devant les crises économiques et sociales, l'écologie, transversale à toutes les activités humaines, concerne tout le monde et la crise écologique n'épargnera personne ; pas même ceux qui considèrent que notre chère société de consumation a encore de beaux jours devant elle. Quant à nos nuits...

Sur la canopée la lune s'est levée, plus souriante et lumineuse que jamais grâce à la minceur de la couche d'ozone. Un vent léger fait bruisser les dernières feuilles d'automne qui n'en finissent pas de tomber (il n'y a plus de saison). A portée de voix, une chouette hulule, douce et fluette tache sonore dans le silence serein de la paix des arbres, gardiens de la beauté d'un monde que nous avions rêvé éternel...


Pierre

... m'en allant promener,

j'ai trouvé l'eau si belle

que je m'y suis baigné...

 

Publié dans Tribunes libres

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