L'association, utile ou futile ?...

Publié le par Association Médiane

Du clan à la communauté en passant par la tribu, nous avons depuis la nuit des temps cherché à nous organiser en collectivité à partir du noyau familial élémentaire, entre scènes de ménage et conquêtes martiales.
Cet invariant, cette constante du comportement fait de l’homme un mammifère grégaire ; de la survie à la création artistique, sa constitution naturelle – les sens, le langage, la conscience, l’affectif- le prédispose bon gré mal gré à la vie en société. Ce constat d’une magistrale banalité, nous questionne pourtant sur notre capacité à vivre ensemble aujourd’hui, aptitude construite et entretenue par les valeurs fondamentales du respect de l’autre et du vivant, garant de la pérennité d’une société vivable.
Est-ce l’affirmation hard de l’individualisme forcené, l’apologie soft du culte du Moi-Je et la mutation light du citoyen en consommateur qui marqueront la prochaine étape de notre évolution ?
Ainsi donc l'homme moderne, de type polygame numérique marié à ses écrans, version v.r.p. des dictatures de l'argent, s'impose aujourd'hui sous toutes les latitudes comme modèle uniforme du progrès, né de la confusion entre confort et bien-être. La qualité de vie définie par l'addition de critères matériels personnels nous déporte vers un mode d' existence de plus en plus individué où la place laissée aux initiatives altruistes, à un projet de société humain est réduite à la portion congrue.
Qui se pose cette question existentielle à l'idéalisme frustre et primaire : sans l'autre, que suis-je?
Existe-t-il une conscience civique collective, au-delà des intérêts privés, qui motive le citoyen anonyme à se prononcer, seul dans le secret de l’isoloir, sur des programmes qu’il n’a pas contribué à établir ?
Peut-on espérer des élans solidaires d'une autre nature que les grandes messes populaires au patriotisme sponsorisé avec ses supporters braillards idolâtrant les cobayes abrutis des labos pharmaceutiques?
Quelle vision du monde proposer aux enfants, lorsque, "adultes", nous revendiquons comme priorité première le pouvoir d'achat en tête des sondages et statistiques devant les domaines sinistrés de l'éducation et de la santé... Notre destin serait donc d'assouvir les satisfactions immédiates et éphémères de besoins futiles et de désirs vulgaires que la pub zélée s'évertue à créer pour notre bonheur. L'obsession du "gagner plus" n'est-elle pas le degré zéro de l'intelligence collective et d'une conscience civique, une béquille pour la croissance, cette religion du "toujours plus" qui nourrit l'illusion d'un libéralisme à visage humain, un pansement dérisoire sur la férocité du monde du travail ?
Dans ce contexte, si les lieux de rencontre et les désirs de partage se restreignent ostenciblement, le monde associatif, creuset traditionnel propice à la création de champs du possible et à l'ouverture d'espaces de libertés, devient le témoin objectif de l'état de santé d'une démocratie.
Que sont devenus les attraits de cette vieille dame vertueuse à but non-lucratif née avec le 20ème siècle ? L’association serait-elle par essence une valeur féminine (3/4 des employés et bénévoles des associations sont des femmes), pragmatique et concrète, ignorant les feux de la rampe, mais jamais loin du feu des champs d’horreur guerriers, des catastrophes sanitaires et autres cataclysmes naturels ?
En Afrique, les associations de développement rural, d’éducation et de la santé sont initiées et gérées par des femmes. En Thaïlande, les associations de mères luttent contre le SIDA et la prostitution qui déciment la nouvelle génération. Des femmes chinoises, divorcées pour avoir donné naissance à des filles, vivent et travaillent ensemble. Au Proche-Orient, des mères palestiniennes et israéliennes oeuvrent dans les mêmes associations pour que leurs enfants ne grandissent pas dans la haine de l’autre, construisant la paix au quotidien, à pas de fourmis, sous la chappe de plomb de rivalités viriles qui ne laissent derrière elles que cadavres et désolation. Silence radio, silence télé, silence papier…
Dans les domaines d’intérêt général et d’utilité publique, les associations hexagonales oeuvrent elles aussi dans l’ombre, au jour le jour et au niveau local, 5ème roue du carrosse d’une République en panne d’humanité, entretenant son déclin par de sempiternelles querelles d’influences partisanes et ses sordides conquêtes de pouvoirs aussi désuètes que dérisoires face à la voracité financière du monstre cannibale de l’hypermarché planétaire.
Quel impact sur nos existences ont les initiatives du monde associatif dans l'ombre des facéties et gesticulations médiatiques de l'omniprésente politique-spectacle ? Pourtant, à l'heure des foires d'empoigne pré-pubères qui égaient les moeurs de la classe politique et attristent les nôtres, le milieu associatif n'est-il pas devenu le garant d'une cohésion sociale indispensable à ce que le bouffon du roi appelait la France d'en-Bas ?
Les griefs portés à l’encontre des structures associatives « pompeuses » de subventions paraissent bien mesquins face à l’énergie déployée dans la recherche de cohésion sociale, la production de richesses matérielles et immatérielles, la préservation et la création de services publics, générées dans des conditions de plus en plus ingrates (gels, reports ou annulations arbitraires des subventions devenus monnaie courante).
Si on considère le parcours du combattant que représente la création, l'existence et la survie d'une association, quelle crédibilité accorder à la classe politique lorsqu'elle inscrit dans sa propagande électorale la nécessaire prise d'initiatives et de responsabilités par les citoyens dans le développement économique, social et culturel de leur territoire ?
Les pouvoirs publiques s'accordent pourtant à reconnaitre en sourdine que l'extinction de la vie associative achèverait la décomposition d'un tissus social déjà en lambeaux.
Si les poliques souhaitent voire disparaître le secteur associatif du domaine social, il ne leur reste plus qu'à assumer les responsabilités pour lesquelles ils ont été élus plutôt que de s'épancher dans les promesses démagogiques du marketing électoral.
En ces temps quelque peu obcurs où l'indifférence est la plus sombre des menaces, la désobéissance civique s’imposera-t-elle comme l'ultime recours du milieu associatif pour préserver les acquis sociaux conquis depuis des générations par «la France d’En Bas » ? Pour protéger le Bien Commun écologique, éducatif et sanitaire de la propriété privée et de ses tentations spéculatives ?
Les associations n’ont pas vocation à colmater les brèches béantes des fractures sociales dues à l'indigence politicienne pas plus qu'à supporter l’inertie administratives d’institutions technocratiques sans âme, aussi lourdes qu’incompétentes parce que déconnectées des réalités. Elles peuvent néanmoins, à partir des compétences des partenaires de proximité et des élus locaux, révéler en amont les priorités et nécessités collectives vers les pouvoirs publics concernés, et œuvrer en aval à leur réalisation.
La société civile pose également quelques questions qui nous concernent tous : qu’est-ce qu’un citoyen aujourd’hui ? Quelle participation et quelle autonomie d’action peut-il escompter pour valider des initiatives réellement utiles à la collectivité ? Devons-nous attendre que les atteintes portées à l’équilibre des lois naturelles du vivant mobilisent l’instinct de survie individuel et aléatoire plutôt que l'engagement des consciences altruistes, vigilantes et lucides ?
Le monde associatif est-il devenu le dernier champs d’application des valeurs humanistes animées par d'autres dynamiques (coopération, non-violence) que celles, conflictuelles, du gagnant-perdant ?
La finalité logique des associations n'est-elle pas de s'associer par soucis d'efficacité et dépasser la fragilité de l'isolement ; se fédérer pour oeuvrer ensemble sur des champs d'activités complémentaires et aborder le partenariat vers des objectifs communs ?
Atout majeur et fondement de l’association, le bénévolat (du latin bénévolus : bienveillance), en tant que service non rémunéré dans un monde vénal où tout se monnaye, est un laboratoire humain où se testent les limites de l’égo plus ou moins solubles dans le collectif. Il implique une disponibilité, des compétences et un engagement qui placent les priorités dans une sociabilité tournant le dos au modèle établi du consommateur égoïste et frileux, assisté insatisfait d'un monde virtuel, infantilisé par sa dépendance à l’attirail moderne des prothèses technologiques. Le bénévolat offre la possibilité d’assumer des responsabilités d’une autre nature que la quête ou la prise de pouvoirs. En bref, il invite à dépasser notre statut siliconé d’homo clientélus égoïtus et à considérer le progrès comme une évolution des relations humaines, sociales et culturelles. Charmante utopie ? Peut-être, mais sous les régressions en tout genre qui nous pourrissent le quotidien, la nécessaire prise en charge de notre condition ne nous permet plus la complaisance irresponsable d'un fatalisme docile ; elle nous autorise à estimer notre capacité à mutualiser, à être au service d’un projet collectif et d’un art de vivre qui donne un sens et une saveur à l’existence, dans la convivialité et la modestie de nos moyens, avec la joie d’être en prise direct avec notre devenir...
Grégaire = solidaire, une éthique sans étiquette…
  
Pierre

Publié dans Tribunes libres

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